Le contenu du travail est une dimension clé de l’expérience collaborateur, souvent oubliée au profit des conditions de travail. Cf. partie 1 – Quand l’expérience collaborateur oublie le contenu du travail.

La transition digitale modifie le contenu individuel du travail. Les technologies ne sont plus seulement des instruments de travail. Les données sont les nouveaux objets du travail. La collaboration devient un travail.

Et les collaborateurs le perçoivent, l’expérimentent et le vivent plus ou moins bien.

Ces évolutions conduisent les RH à ne pas se limiter à planter, faire pousser et déplanter les talents dans le jardin de l’organisation. Mais à devenir de véritables paysagistes du travail en collaboration avec les managers et les collaborateurs.

En incertitude, « un leader est celui qui crée le contexte dans lequel les choses vont se faire » comme l’écrit Philippe Silberzahn.

 

La prescription du travail, un point d’attention de l’expérience collaborateur

L’adaptation de l’entreprise au fonctionnement du digital fait que le travail à réaliser repose de moins en moins sur des modes opératoires et des pratiques prédéfinies par l’entreprise, communiquées et supervisées par le manager.

Certaines activités du collaborateur ne sont plus prescrites, car les outils les réalisent ou les lui dictent. D’autres reposent sur ses propres capacités, sa responsabilité.

  • La collaboration et la contribution du collaborateur sont nécessaires pour intégrer les technologies dans les processus de travail,
  • L’appropriation par le collaborateur des outils est une des conditions de leur efficacité respective,
  • La réactivité et l’adaptation du travail aux situations nouvelles, complexes, aléatoires s’intensifient,
  • Les relations et les interactions humaines se développent dans la logique de service et de valeur de l’information partagée.

Il est intéressant de noter au passage que c’est bien l’évolution du contenu du travail qui induit la transformation du rôle et des pratiques du manager, et non l’inverse. L’expérience manager, la grande oubliée de l’expérience collaborateur.

L’évolution de la nature du travail impacte ainsi la façon dont il est défini, et communiqué au collaborateur. Et chaque collaborateur va percevoir et vivre différemment cette situation.

Ce qui fait des modalités de prescription du travail un autre point d’attention d’une démarche d’expérience collaborateur.

Confrontés à ce contexte, à cet engagement très personnalisé, certains collaborateurs sont désorientés. D’autres y voient une opportunité d’avoir plus d’autonomie et de responsabilités, d’évoluer dans leur métier ou vers un autre métier.

Dans les deux cas, comme nous allons le voir, la partie ne va peut-être pas se jouer comme ils le pensent. Tout dépend des enjeux de l’entreprise et des choix qu’elle fait en implémentant ces technologies. Les technologies et usages numériques amènent un lot de paradoxes que l’entreprise doit arbitrer.

 

Quand le digital modifie son travail, le collaborateur se questionne

L’étendue des technologies numériques et des contextes d’usages est telle qu’il est difficile d’être exhaustive, en décrivant leurs caractéristiques et les grandes tendances qui affectent l’activité individuelle de travail. D’autant plus qu’ils évoluent continuellement, en mode nouveauté ou maturité.

Cependant je retiendrai les caractéristiques générales suivantes :

  • la mise en réseau,
  • la transformation de tout en données, dont les interactions humaines,
  • la rapidité de traitement et l’accélération de l’exploitation des données,
  • l’association des utilisateurs aux processus de production,
  • le nombre et la variété des dispositifs technologiques,
  • la reproduction de certains comportements humains par les outils technologiques.

Comme je l’avais illustré dans un précédent article Soft skills : des compétences qui paient ou pas , en prenant l’exemple du métier de conseiller clientèle, les entreprises visent à réduire les coûts et/ou à créer de nouveaux avantages concurrentiels (innover).

Dans des proportions qui varient selon l’entreprise, le contenu du travail évolue selon ces principales tendances :

– L’activité de gestion des systèmes informatiques : les alimenter, récupérer les livrables, vérifier leur fonctionnement, compenser leurs faiblesses ou dysfonctionnements, etc.

– L’activité d’analyse et d’exploitation des données produites par les systèmes, des données qui orientent l’action et la pratique professionnelle, ou conduisent le collaborateur à choisir la solution et à l’adapter…

– Les activités qui ne sont pas prises en charge par les outils par choix ou par contrainte. Elles relèvent du cœur de métier initial ou résultent de l’attribution de nouvelles missions, induites ou pas par l’adoption des technologies,

– Les activités relationnelles internes et externes, idem au regard du métier initial ou des nouvelles missions,

– Les activités dites d’amélioration et d’innovation plus ou moins structurées et formalisées par l’entreprise,

– Les activités réalisées à l’initiative du collaborateur (contextes, stratégies personnelles…).

 

On peut constater que nous ne travaillons plus sur la même matière. Nous ne mobilisons plus ou de la même façon les connaissances et les compétences, caractéristiques de nos formations et de nos expériences métier. Y compris dans des métiers récents et technologiques, je pense par exemple au développeur web.

Les technologies sont souvent présentées comme complémentaires au travail du collaborateur et « augmentantes » 😱. Elles favoriseraient un recentrage du collaborateur sur des activités à plus forte valeur ajoutée. Sous-entendues plus utiles, plus intéressantes et formatrices pour lui, plus signifiantes au regard de son métier, des compétences détenues, plus contributives à l’employabilité individuelle…

Est-ce toujours le cas ? Quelle expérience-collaborateur et engagements de l’entreprise ?

Le numérique rend aussi le travail plus abstrait, plus virtuel, avec une charge mentale plus forte (cf. volume d’informations et d’interactions).

Enfin, en transformant le contenu du travail, le numérique impacte l’identité professionnelle du collaborateur.

Ces évolutions conduisent le collaborateur à se questionner sur sa capacité à maitriser ce nouveau travail, sur son envie de le faire. En quoi il pourrait contribuer à réaliser ses objectifs et aspirations professionnels. Quelles sont ses motivations à rester dans l’entreprise, etc. Le collaborateur n’appréhende pas toujours que l’évolution de son travail et de son métier n’est pas propre à son entreprise. #ExpérienceCollaborateur

 

Le tuteur des conditions de travail

Les entreprises, les RH ont tendance à répondre aux changements du contenu du travail par les conditions de travail.

Un tuteur pour soutenir l’effort d’adaptation. Une logique de compensation.

A leur décharge, il faut aussi relever l’attitude des collaborateurs.

L’adaptation des conditions de travail par l’entreprise est aussi une réponse aux demandes exprimées par les salariés.

Ne sont-ils pas résignés à accepter les évolutions de leur travail, sous la pression de l’emploi, tout comme ils ont accepté la flexibilité il y a quelques années ?

Résignés aussi devant le rouleur compresseur du digital que les salariés perçoivent comme inéluctable. Ils le vivent en tant que consommateurs et citoyens, et plutôt mieux en raison des choix qu’ils peuvent exercer…

Les collaborateurs recherchent aussi dans les conditions de travail d’autres éléments de satisfaction professionnelle, face à un travail qui ne les satisfait pas…

Sauf exceptions, le télétravail, la flexibilité des horaires, la qualité des espaces de travail, l’ambiance de travail et tous les artifices du bonheur au travail sont davantage révélateurs des stratégies individuelles de travail. Ils sont aussi révélateurs de la distance prise par une grande partie des salariés avec les organisations.

A la relation d’emploi individualisée et flexible et un marché du travail peu lisible, s’ajoute pour le salarié une nouvelle incertitude sur le contenu de son travail, ses compétences, son employabilité. Une incertitude sur la logique d’engrangement d’expériences et de compétences qui a prévalu depuis 20 ans en matière de gestion individuelle des carrières.

La multiplication des facteurs d’incertitude érode le sens et les motivations, l’affect aussi. Elle conduit le collaborateur a reporté la recherche de satisfaction dans d’autres domaines, comme les conditions de travail, la rémunération, le statut…

 

L’expérience du travail : la base de l’expérience collaborateur 

La transformation d’une entreprise pour tirer partie du digital ne relève pas d’un processus ou d’une méthode. Chaque entreprise doit en définir les objectifs, la stratégie, expérimenter et construire.

Avec les technologies numériques, tout est possible… sur le papier.

Si l’organisation doit s’adapter en partie aux logiques que portent les technologies, les modèles, les usages, elle doit aussi adapter le digital à ce qu’elle est et à ce qu’elle veut être. L’innovation et les avantages distinctifs viendront de cette appropriation. Y compris sur l’axe « employeur ».

Passée l’étape de transition digitale, l’entreprise devra définir la place et le rôle qu’elle souhaite donner à la composante humaine et technologique. Les technologies d’intelligence artificielle renforcent encore davantage la nécessité de se positionner. Et c’est dans cet arbitrage que devront s’inscrire les stratégies d’organisation et RH, et la démarche d’expérience collaborateur.

 

Le vécu par le collaborateur des dispositifs technologiques prendra une place croissante dans l’expérience collaborateur.

L’entreprise doit prendre en compte que les technologies représentent à ce jour pour le collaborateur un instrument de travail imparfait, une partie de ses tâches, son assistant, un collègue. Elles sont aussi le prescripteur de son travail et un contributeur à son évaluation.

Pour les plus jeunes qui n’ont connu que cet environnement de travail, l’animation dans la durée de leur motivation au regard de ce travail très virtuel est loin d’être évidente (mon expérience). Elle l’est encore moins pour d’autres profils.

Par ailleurs, l’entreprise doit veiller à ce que les activités d’analyse et de définition d’insights, les activités plus relationnelles et collaboratives dites à plus forte valeur ajoutée ne se réduisent pas à appliquer des procédures, à résoudre des problèmes ou à gérer des situations critiques. Ce sont ces activités qui vont principalement donner une teinte métiers, compétences, expérience au collaborateur. C’est là qu’il va y puiser des sources de développement, motivation et sens.

Les profils qui craignaient la fin du travail prescrit vont peut-être se sentir confortables dans une coopération rapprochée avec le système technique, alors que ceux qui en attendaient plus de marges de manœuvre, voire une évolution de leur métier, vont peut-être être déçus par la nature ou les conditions de réalisation des nouvelles missions.

 

La fonction RH doit davantage s’impliquer avec les managers, les collaborateurs, la DSI, etc. dans la reconfiguration du contenu du travail, des emplois, des métiers.

La transformation digitale de l’entreprise est une bonne opportunité pour s’imposer sur le sujet, prendre le lead au regard des enjeux RH qui en découlent, et habituer les interlocuteurs, si ce n’était pas le cas.

Ce n’est pas un autre projet de réorganisation. C’est une adaptation continue du travail et un accompagnement au long cours des trajectoires des collaborateurs dans un nouveau contexte.

L’entreprise a beaucoup à perdre en termes d’efficacité individuelle et collective et de rétention, que le collaborateur soit ou pas un talent rare et/ou stratégique. L’entrperise a beaucoup à perdre à être dans un mode « saute et nage « . Ce qui revient à une adaptation individuelle aux technologies et au nouveau contenu de son travail. A auto-évaluation (perception) de sa capacité à les maitriser, de la valeur de son travail, de son identité, de son utilité, de son intérêt.

 

Nous sommes au coeur de la valeur ajoutée et des compétences attendues de la fonction RH, quel que soit le contexte, transformation digitale ou pas : permettre au collaborateur de trouver un sens personnel et collectif à son travail et à sa présence dans l’entreprise. 

L’expérience du travail, c’est la base de l’expérience du collaborateur dans l’entreprise. Et la relation de proximité, de confiance et de collaboration tissée avec le collaborateur au sujet de son travail résiste à bien des épreuves.