Le futur du travail, et en corollaire celui du marché de l’emploi, nous questionne au fur et à mesure que les effets de la digitalisation des organisations se matérialisent et que d’autres innovations technologiques émergent.

Dans un précédent article  la transformation du travail par le digital, j’indiquais que « nous ne travaillons plus sur la même matière ». Le digital modifie notamment la nature et la place de l’information dans l’activité humaine de travail, et dans l’organisation des entreprises. Et les techniques d’automatisation et d’intelligence artificielle amplifient le mouvement.

Si on jette un œil dans le rétroviseur, on constate que, dans les organisations, les objectifs de maitrise des risques et de rationalisation du travail humain sont passés par la maitrise et la rationalisation de l’information.

L’information est-elle le marqueur du futur du travail ? Le futur du travail humain suivra-t-il le futur de l’information ? D’autres facteurs rentreront-ils dans le jeu ?

 

Une activité d’information d’abord dissoute dans le travail

L’activité d’information fait partie des espaces de contribution et de créativité des collaborateurs, d’autonomie, de libre arbitre, d’expression des singularités de chaque collaborateur au travail. Je peux utiliser ou pas une information, en produire ou pas, générer ou pas des contributions, la formaliser ou pas, la partager ou pas, etc.

Avant que l’information ne soit formatée, traitée et communiquée par des dispositifs techniques dans les entreprises, l’activité d’information de chaque collaborateur se déroulait dans le périmètre limité du poste et de l’équipe.

Elle était invisible au niveau individuel.

Elle faisait partie du savoir-faire métier.

En tant que compétence, elle se révélait directement dans l’exercice du métier.

Elle était néanmoins organisée et supervisée collectivement pour permettre la formalisation, la communication, la coopération, la collaboration et le contrôle !

 

La gestion de l’information : une compétence et un système

Lorsque j’étais DRH à l’EMlyon, nous avons conduit avec l’ensemble des salariés un projet compétences. La gestion de l’information était une des compétences identifiée comme commune à tous les collaborateurs, de la standardiste au DG en passant par le corps professoral. Elle recouvrait bien entendu des réalités distinctes, et distinguées, selon la fonction. Pas un seul métier n’échappait à l’impact de l’activité d’information : maitrise des sources formelles et informelles d’information et des dispositifs techniques ; capacité à traiter les informations et à les transformer en connaissance, décision, action, résultat.

Identifiée comme une compétence à part entière, l’activité d’information est alors visible, évaluée, outillée, guidée au niveau individuel… Les activités d’information et les informations elles-mêmes sont formatées, structurées et managées au sein d’un dispositif technique, un outil mais aussi un cadre pour le travail humain.

Digital et IA : de la mise en données à la mise en action automatique de l’information

Avec les technologies numériques et l’intelligence artificielle, le système d’information :

  • s’élargit à tous types d’informations : mises en données et en mémoire. Y compris du travail humain : documents, actions, interactions, conversations, et maintenant les émotions.
  • se partage davantage : mise en réseau des informations et des personnes.

La valeur du système réside dans la qualité des données et surtout dans la pertinence des enseignements retirés des données (insight) après traitement : mise en connaissance ou en intelligence.

La valeur de l’activité d’information du collaborateur réside dans l’utilisation pertinente de ces enseignements (insights) dans son activité de travail : mise en action.

D’où l’idée maintes fois reprise que le travail humain devient, avec la digitalisation, plus intéressant, plus utile, plus enrichissant, plus valorisant.

Ce descriptif présenté est volontairement réducteur (et des têtes bien faites se glissent dans le traitement des données souvent présentées comme automatique).

Il permet néanmoins de voir l’évolution de l’activité d’information, et donc l’évolution du travail individuel et collectif.

L’activité d’information et les savoir-faire associés des collaborateurs se réduisent. Autrefois humains, et individuellement ou collectivement distinctifs, les traitements amont de captation, d’appropriation, de contextualisation, de formalisation, de communication de l’information sont pris en charge par les outils.

D’une mise en connaissance de l’information, les dispositifs techniques ont la capacité d’aller jusqu’à la mise en action automatique de l’information.

Ce qui a aussi pour conséquence de modifier les relations humaines de travail, donc la dimension sociale du travail et du modèle organisationnel.

Encore théorique dans de nombreuses entreprises dans cette phase de transition, l’idée promue est que ces relations humaines se déportent sur la relation avec le client ou avec l’écosystème (expérience, influence…) ou sur d’autres sujets de collaboration (innovation, intelligence collective). Et qu’elles sont elles aussi plus intéressantes, plus utiles, plus enrichissantes, plus formatrices pour le salarié, et l’entreprise.

Reste la question très concrète de la valorisation économique de cette « activité relationnelle du travail humain » ??

 

Le futur de notre travail : de l’anticipation créative des entreprises au comportement du citoyen-consommateur-collaborateur

Depuis 30 ans, l’information a accru sa valeur en tant que facteur de compétitivité de l’entreprise, et de performance de son organisation.

En support du travail humain au début, les systèmes techniques absorbent progressivement l’activité d’information du travail humain avec la promesse sociale de le rendre plus intéressant, et la promesse économique et organisationnelle de le rendre plus fiable, plus réactif, plus créatif.

L’information est bien devenue un marqueur du futur du travail. Comme l’est aussi la gestion de la relation, elle est aussi déjà transformée : algorithmes des réseaux sociaux, chatbot, objets connectés….

Pour décrypter le futur plus lointain du travail, se pose alors la question du futur de l’information et des systèmes d’information dans les organisations. Comme celle du futur de la relation.

A ce stade, la culture financière et gestionnaire n’a pas disparu des entreprises. La rationalisation du travail et la maitrise des risques et des coûts, notamment humains, reste un enjeu de compétitivité, au centre des préoccupations de l’actionnariat et des directions d’entreprises.

« La mathématique devient le modèle du raisonnement et de l’action utile. La pensée du chiffrable et du mesurable devient le prototype de tout discours vrai, en même temps qu’elle instaure l’horizon de la quête de perfectibilité des sociétés humaines » enssib

Je reste personnellement convaincue que les entreprises ont les capacités économiques et créatives pour continuer à valoriser le travail humain, pour reconfigurer leurs modèles productifs, et élaborer des offres à valeur ajoutée et compétitives pour leurs clients. Même sans conscience sociale forte. De plus, les entreprises européennes pourraient y trouver un modèle économique alternatif aux modèles américains et chinois qui se dessinent.

Par ailleurs, comme je le partageais avec Frédéric Mischler il y a quelques mois, les citoyens-consommateurs-collaborateurs ont leur rôle à jouer. Déjà en reconnaissant la valeur financière et d’usage de ces produits et services à forte composante sociale (qualité, prix).

Si comme le pense Dominique Turcq dans l’article sur Jobsferic, « il faut s’attendre à ce que dans un premier temps l’IA soit utilisée dans le même but de réduction des interactions humaines et d’augmentation de la productivité. Mais il est fort possible qu’il en soit rapidement autrement car la déshumanisation va vite connaître ses limites et il est probable que la revalorisation du contact humain (re)-devienne un facteur concurrentiel majeur dans l’attraction des clients et des collaborateurs »,

Alors les directions d’entreprises dont la fonction RH ont tout intérêt à l’anticiper, plutôt que d’opérer un mouvement de balancier difficile, si la casse sociale a été trop forte.