L’Apec  (Agence pour l’Emploi des Cadres) a relayé la semaine dernière dans les media de nouvelles expérimentations relatives à des recrutements de cadres sans utilisation d’un CV, notamment illustrées par l’expérience Auchan. Plusieurs expériences ont déjà eu lieu ces dernières années dans d’autres entreprises et sur des profils moins qualifiés avec l’aide de l’ANPE de l’époque (aujourd’hui Pôle Emploi). L’approche du recrutement par simulation est née au Canada, pays toujours très innovant en matière de pratiques et d’outils RH.

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Cette modalité contribue-t-elle réellement pour les candidats à élargir les opportunités d’emploi ? pour les entreprises qui recrutent à diversifier les profils des salariés recrutés (objectifs affichés) ? et plus globalement à fluidifier les pratiques de recrutement au bénéfice de toutes les parties prenantes ?

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Tout d’abord, regardons de près les modalités du recrutement dit « sans CV »

Première étape de la sélection : une mise en situation par simulation (MRS, méthode de recrutement par simulation) ou un questionnaire selon les méthodes utilisées.

Seconde étape de la sélection : un entretien ou plusieurs au sein de l’entreprise durant lequel le recruteur ne dispose pas du CV du candidat (en principe …).

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Que penser de ces modalités ?

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1- Toute personne qui le souhaite peut participer à la première sélection : une chance de plus de trouver un emploi !

Une bonne réponse à la sélection somme toute subjective à partir d’un CV, plus ou moins pertinent en apparence, plus ou moins fiable, etc.

↑ Une bonne réponse aussi à la sélection par clonage : avoir eu le même poste dans le même secteur.

↑ Une bonne réponse enfin à la discrimination : âge, sexe, origine ethnique, etc.

Donc théoriquement les personnes en recherche d’emploi ont plus de chances d’être retenues lors de la sélection, donc plus de chances d’être retenues pour le poste que par un processus de sélection sur CV.
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2-  La simulation/le questionnaire doivent être pertinents et fiables en termes de sélection.

La pertinence des critères de sélection retranscrits dans la simulation ou le questionnaire est un élément majeur de l’efficacité de la démarche pour le recruteur. La qualité et la pertinence de ces outils est aussi un élément de perception de l’équité de la sélection par les candidats. Ces 2 enjeux sont les mêmes avec un ou plusieurs sélectionneurs en chair et en os.

Les directions des ressources humaines détenant rarement les compétences et les outils pour élaborer la mise en situation ou les questions, il est nécessaire de faire appel à des consultants spécialisés ou des organismes comme Pôle Emploi ou l’Apec qui cherchent à se positionner sur des services complémentaires que le placement de demandeurs d’emploi (services apporteurs de financement complémentaires directs ou indirects).

L’appui sur des compétences externes est l’équivalent pour l’entreprise d’un recours à une société de conseil en recrutement ou un site de e-recrutement mais pour des motifs différents.

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3- Un investissement pour le recruteur, quel retour ?

Compte tenu du temps et de l’argent mobilisé par l’entreprise sur l’ensemble du processus, le recrutement par simulation ou sans CV concerne majoritairement des recrutements en nombre pour être rentable, comme chez Auchan pour les chefs de rayons. Il est difficile de concevoir tout ce processus dans une PME ou TPE pour un recrutement. Ce que confirmait l’ANPE dans ces premières expériences contrairement à l’APEC qui le recommande même pour un seul recrutement (je suis interrogative sur ce point).

Les expériences conduites démontrent que la méthode est utilisée lorsque l’entreprise rencontre des difficultés à recruter. En élargissant et donc de fait en diversifiant les candidatures, elle se donne plus de chance de trouver ses futurs collaborateurs. L’entreprise doit cependant être vigilante pour, dans un contexte de marché du travail défavorable aux demandeurs d’emploi, de ne pas « sur-recruter » c’est-à-dire de recruter des profils « sur qualifiés » par rapport aux postes à pourvoir, au risque d’être confrontée à des départs précoces, ce qui nous ramène à la pertinence de la simulation/du questionnaire puisque des candidats fortement qualifiés ont en théorie plus de chance de bien y répondre mais aussi de ne pas trouver leur compte dans l’emploi proposé.

↔ L’entreprise doit aussi pour pérenniser le recrutement mettre en place des actions favorisant l’intégration et la formation, rien de nouveau si ce n’est qu’ils sont encore plus incontournables pour favoriser la réussite dans la structure et dans le poste d’un candidat arrivant d’autres horizons.

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4- La seconde étape de la sélection, un ou des entretiens : quoi de neuf ?

↔ La simulation/le questionnaire apporte potentiellement un canevas commun à tous les interviewers pour élargir l’échange à d’autres sujets ou à des questions plus opérationnelles avec les candidats (cf. contenu de la simulation/du questionnaire). Là comme dans l’entretien « avec CV », le contenu de l’entretien, les informations échangées, les déductions faites dépendent des bonnes pratiques du recruteur !

Etonnant, à ce propos, de lire dans un article de FocusRH sur le même sujet que « L’innovation tient justement dans le fait que le candidat parle de lui, de ses savoir-faire, de ses expériences et qu’il met en avant ses compétences« . Pour moi, rien de nouveau par rapport à un entretien « classique » (bien mené) au cours duquel un candidat va effectivement présenter et argumenter et être questionné sur les emplois tenus, les savoir-faire acquis et sa personnalité sans pour autant rester collé au CV. La plupart des recruteurs d’ailleurs tentent justement de s’éloigner du canevas du CV pour recueillir d’autres informations sur le candidat.

Ce qui est souvent laissé de côté dans ces descriptions parfois idylliques du recrutement sans CV, c’est la question de la communication du candidat. Un candidat n’improvise pas lors d’un entretien, même sans CV. Il serait d’ailleurs inconscient d’y aller les mains dans les poches en improvisant face à des spécialistes du questionnement.  Il serait mal honnête de lui faire croire que lors d’un recrutement sans CV, il n’a qu’à venir discuter en toute franchise et sympathie ! Le candidat s’appuie naturellement sur des exemples puisés dans son parcours pour argumenter sur les compétences acquises graduellement ou ponctuellement, dans ses réalisations et des situations vécues pour présenter sa personnalité, etc. il a repéré les points forts de son expérience et de sa personnalité pour construire l’ossature de son argumentation qu’il est capable de dérouler même sans CV et en faisant le lien avec les réponses du questionnaire.

↑ L’effet « ouverture » d’un entretien sans CV me semble être davantage du côté du recruteur. Formé et briefé à l’esprit de ma démarche et ne disposant pas d’informations sur le cursus du candidat, en dehors des réponses aux questionnaires, il est contraint de faire connaissance avec le candidat dans une logique de dialogue qui lui laisse d’ailleurs penser que le candidat est de ce fait lui aussi beaucoup plus en dialogue et en échange informel. Attention toutefois pour les candidats à ne pas sous estimer l’effet entonnoir du questionnement.

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En réponse à nos 3 questions initiales,

Cette modalité contribue-t-elle réellement pour les candidats à élargir les opportunités d’emploi ?

Oui, dans la mesure où tout le monde peut concourir à la première étape de sélection.

Non, dans la mesure où l’effet positif du premier point peut être vite réduit par les réflexes « classiques » lors de l’entretien. Même si l’on souhaite objectiver, il restera en matière de recrutement, et c’est à souhaiter, une intervention humaine qui rendra de fait les conclusions subjectives.

Oui et non, car une opportunité d’emploi quelque peu en décalage avec son profil et sa formation n’est pas seulement la perspective à court terme d’un travail et d’un salaire.

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Cette modalité contribue-t-elle réellement pour les entreprises qui recrutent à diversifier les profils des salariés recrutés (objectifs affichés) ?

Oui, mais en situation de contrainte par rapport au fait qu’elles ne parviennent pas à recruter en nombre suffisant par manque d’attractivité des emplois proposés ou en raison d’une pénurie de compétences.

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Et plus globalement à fluidifier les pratiques de recrutement au bénéfice de toutes les parties prenantes ?

Toute nouvelle modalité présente l’avantage d’interroger les comportements, les pratiques et les outils actuellement utilisés et donc de contribuer à les faire évoluer. Souhaitons que ce soit notamment le cas en matière de clonage et de discrimination. Pour autant, la technicité supplémentaire à mettre en oeuvre dans le recrutement sans CV, les coûts et les temps attachés à la démarche réduit le champ d’utilisation aux entreprises d’une certaine taille et recrutant en nombre sur le même type d’emploi.